Nous pouvons retenir que, selon Schopenhauer, la philosophie trouve son origine dans l’étonnement. Mieux, sans étonnement plus de philosophie. Cependant il distingue l’étonnement du philosophe de celui du savant en posant des conditions sans lesquelles cette naissance est impossible. Confirmant que l’homme est le seul être à s’étonner, on ne peut néanmoins nous empêcher de remarquer que tous les hommes ne s’étonnent pas.
Si l’existentialisme est né, c’est à cause principalement des philosophes existentialistes. Contre elles aussi, il s’oppose. Qu’en est-il de ces philosophes de l’essence ? La philosophie de Socrate pose des questions qui touchent l’essence : « Qu’est-ce que … ? »
Platon recherche l’idée éternelle, immuable. Cette philosophie qui étudie les essences veut posséder une vérité éternelle valable pour tous les temps, tous les lieux et pour tout le monde. C’est comme si pour faire quelque chose que ce soit, l’homme consultait des modèles, des essences qui étaient là déjà faits uniquement pour cela et à priori. En revanche existentialisme est centré sur l’existence humaine (non sur le monde matériel comme chez les Présocratiques). Il ne considère pas quelque chose est donné au départ par on ne sait qui ou quoi. Le seul point de départ, c’est l’action. Mais existentialisme n’est pas sans poser problème. Des lors que l’homme est jeté au monde sans secours et devant pourtant faire face d’une part et d’autre part être entièrement responsable de ce dont il n’est pas l’auteur. Est-ce que le constat d’un monde sans auteur transcendant, sans finalité, sans sens, donc absurde et qui fait que nous partons de la subjectivité, ne peut pas nous mener au désespoir, à la démission, à la contemplation ?. C’est en effet au XIXe siècle avec Schopenhauer que le thème de l’absurde a fait son entrée su la scène philosophique. Pour lui, il y a de quoi être pessimiste et se détacher du monde parce que la vie n’a pas sa raison d’être que celle d’un « vouloir-vivre » aveugle et sans but. Prendre conscience de l’absurde de l’absurde selon camus conduire à la révolte, à l’action et non à se détourner du monde.
Sartre pense que le sens du monde est à construire si ce dernier n’en a pas. Il s’agit donc de prendre conscience de sa liberté et de sa responsabilité de sujet habilité à donner sens à ce qui n’en a pas ; devoir être libre ans un milieu hostile avec des obstacles etc., n’est-ce pas une chose trop difficile ? Peut-on être responsable de ce dont on est pas l’auteur ?
C’est dans son ouvrage, l’existentialisme est un humanisme que nous étudierons ces questions en objections et en réponses.
Qu’est-ce que donc l’existentialisme en général ? Il y a dans ce néologisme le substantif « existence » et le suffixe « isme ». Ce dernier montre qu’on s’appesantit davantage et reconnaît l’importance, précisément la primauté de l’existence que Lalande définit comme le « fait d’être, d’exister, la réalité de l’être par opposition à son essence » qui est « le fond de l’être »
L’existentialisme ne met donc l’accent que sur l’existence ; Le problème de l’existentialisme n’est pas de s’occuper des notions abstraites des choses possibles, des essences, mais de s’occuper de l’existence humaine qui a souvent été oubliée ou reléguée au second plan. Il y a cependant autant d’existentialismes qu’il y a de philosophes existentialistes. Néanmoins, nous distinguons deux types d’existentialistes qui diffèrent dans leurs réponses au problème de l’existence de Dieu. Il s’agit de l’existentialisme athée et de celui du chrétien. Pour l’existentialistes athées comme Heidegger, Sartre, Maurice, Merleau-Ponty, dieu n’existe pas ou s’Il est, cela ne change rien à la liberté sans limites dont bénéficie l’homme. C’est tout le contraire des existentialistes chrétiens comme Kierkegaard, Gabriel Marcel, Karl Jaspers et Emmanuel Mounier. Ici, Dieu n’est pas nié, mais Il n’est pas non plus le responsable de tout, Son action est reconnue tout comme celle de l’homme. Dans l’existentialisme est un humanisme, Jean-Paul Sartre les distingue bien tout en soulignant leur point commun : « il y a deux espèces d’existentialistes : les premiers, qui sont chrétiens, et les existentialistes athées. Ce qu’ils ont en comment, c’est simplement le fait qu’ils estiment que l’existence précède l’essence, ou si vous voulez, qu’il faut partir de la subjectivité »
Aussi, pour Sartre, il est illusoire, même par l’amour de réaliser des relations de sujet à sujet : d’où la haine. « L’essence des rapports entre consciences n’est pas la communauté, c’est le conflit ». (Cf. L’Etre et le Néant, p. 502)
L’ouvrage : l’Existentialisme est un humanisme est une réponse aux objections faites à l’existentialisme en général et à celui de Jean-Paul Sartre particulièrement. Ces objections proviennent pour l’essentiel des chrétiens et des marxistes. Les critiques peuvent se ramener à ceci : l’existentialisme ‘est pas un humanisme.
« La philosophie est dangereuse parce qu’elle détourne des tâches mondaines » disait Calliclès à Socrate. Cet avis vis-à-vis de la philosophie est une stigmatisation de la philosophie tendant à la confondre à une simple spéculation alors que les problèmes de la vie exigent des solutions pratiques et ponctuelles. D’où la légitimité et la pertinence de la question : la philosophie nos détache-t-elle du réel ? »
Une telle interrogation peut s’entendre ainsi : la philosophie est-elle une évasion, une fuite de la réalité ? On pourrait tenter de répondre à cette question en se demandant quelle est la nature du réel dont le philosophe tente de s’évader ? Le détachement qu’implique la philosophie signifie-t-il toujours un abandon total des tâches mondaines ? Qu’est-ce qui justifie alors ce détachement qu’implique la philosophie ?
NB : Il consiste ici à répondre dans l’ordre aux questions qui sont posées à la fin de l’introduction :
La philosophie est traditionnellemnt perçue comme une remise en cause de nos manières habituelles de penser et de vivre. Notre manière habituelle de penser est caractérisée par la référence au sensible, c’est-à-dire au concret. C’est ce qu’on appelle le sens commun dont l’esprit est piégé par les apparences et par le sensible. La philosophie par contre, parce qu’elle se veut une connaissance fondée sur la raison, s’efforce de s’elever de ces apparences comme pour libérer l’esprit des entraves que constituent les éléments de l’expérience. En tant que pensée pure soustraite à la multiplicité et au devenir des choses sensibles, la philosophie est donc un divorce avec le monde sensible. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’élan métaphysique qui, chez Kant exprime un désir de connaître au-delà des limites de l’expérience.
Dès lors, la philosophie apparaît aux yeux du sens commun comme un discours aérien, une rêverie sans rappport avec le vécu de l’homme et sans eficacité dans l’existence immédiate (cf. l’histoite de Thalès et de la servante de Thrace). C’est pour cette raison que la philosophie est une subversion de nos manières habituelles de vivre et de penser. Le philosophe est précisément ce sage dont la quête de la sérénité et de la lucidité condamne à un mode de vie tout à fait particulier. La tranquillité de l’âme à laquelle aspire le philosophe en fait un homme presque indifférent, détaché de toutes les préoccupations mondaines non nécessaires. A cela s’ajoute la particularité d’un discours austère et complètement étranger au vocabulaire du sens commun qui, pour cette raison, voit dans la philosophie un loisir ou une distraction sans sérieux. Et pour certains grands penseurs comme Karl Marx et Nietzsche, la philosophie n’est rien d’autre qu’une idéologie et un mensonge qui voilent la laideur et l’injustice dans le monde.
Marx, par exemple, considère la philosophie comme une entreprise intellectuelle tendant à mystifier une domination qu’une classe exerce sur une autre, c’est-à-dire ne sorte d’illusion destinée à légitimer une position sociale. C’est dans ce sillage qu’il affirmait : « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde, ce qui importe c’est de le transformer. » En d’autres termes, le philosophe serait une solution illusoire des problèmes apparemment insolubles dans la pratique humaine. C’est dans une perspective voisine que Nietzsche traite Socrate d’un théorétique, c’est-à-dire quelqu’un qui est fasciné par une vérité désintéressée alors que l’essence de l’homme est justement de s’intéresser. Nietzsche voit à travers Socrate la figure du philosophe dont l’impuissance réelle condamne à s’évader du monde réel des hommes pour un monde imaginaire. L’élan philosophique serait donc l’expression d’une volonté de puissance décadente c’est-à-dire la volonté des faibles de régner dans la vie effective. Dans la philosophie, cette impuissance se mue en empire d’idées abstraites au sommet duquel trône le philosophe comme un roi sur un royaume. Ainsi, le royaume des idées du philosophe est l’expression d’une ambition manquée de bâtir un royaume effectif.
On voit par là que pour le sens commun ou pour certains philosophes, la philosophie exprime toujours une sorte d’évasion de la vie réelle et ce, aussi bien dans le domaine de la pensée que dans la conduite de la vie. Mais la question est de savoir si le sens de l’existence humaine est accessible si on se réfère exclusivement au monde tel qu’il se donne aux sens. Le détachement du philosophe ne se justifie-t-il pas par le caractère illusoire de l’existence du monde et par la volonté du philosophe d’éclairer qui n’est pas directement transparent ?
La philosophie, on le sait, est une conquête ininterrompue de a vérité. Or, à cause de l’illusion et des apparences, cette dernière n’est jamais donnée de manière directe, immédiate. Elle est pour cette raison un effort permanent d’échapper aux pièges du monde sensible et aux plaisirs mondains qui offusquent la pensée et détournent l’âme de ses préoccupations intellectuelles. On comprend dès lors pourquoi Platon considère l’acte de philosopher comme un apprentissage à la mort. Il l’est parce que le corps, sujet aux délices de la vie est le « tombeau de l’âme ». Autrement dit, nos sens nous trompent en nous livrant une perception erronée du monde ; et les désirs et autres passions nous distraient en nous ôtant toute possibilité d’être sereins. Dans ce sens philosopher c’est mourir du corps c’est-à-dire s’affranchir du poids des contraintes liées aux exigences du corps. C’st d’ailleurs cette tâche de la philosophie de nous affranchir des frivolités mondaines que Platon a voulu illustrer à travers l’allégorie de la caverne. Le philosophe représente précisément le prisonnier libéré de l’obscurité et de l’illusion pour contempler la vraie lumière. La caverne symbolise, en effet, le monde sensible et les autres prisonniers, le sens commun. Aussi, l’évasion du philosophe, dans ce sens précis doit être considérée comme une chose positive car elle aspire à un retour dans la caverne pour éclairer les autres prisonniers qui représentent le sens commun. A travers cette allégorie, Platon nous livre une conception dualiste du monde et la justification de la recherche philosophique. La philosophie consiste donc à élaguer progressivement toutes les entraves à la conquête de la vérité et toutes le pesanteurs qui empêchent de mener une vie équilibrée. C’est cela même la double signification de la notion de sagesse dont le philosophe est amoureux : une conception d’ensemble de l’univers et une prudence dans les affaires moyennant un certain sens de l’éthique.
La sagesse philosophique n’est donc pas un abandon total et définitif du réel. La philosophie est au contraire un attachement à la vraie vie ; celle qui échappe aux troubles issus de l’aveuglement de la raison. La philosophie n’est-elle pas dès lors l’expression la plus authentique de la liberté ?
Cette réflexion autour de la problématique de la position de la philosophie par rapport à la réalité du monde nous a amené à un résultat mitigé. On a vu qu’à cause e sa nature spéculative, la philosophie donne souvent l’allure d’une fuite de la réalité se traduisant par des méditations distantes du vécu des hommes. Seulement ce détachement opéré par le philosophe ne doit pas simplement être entendu au sens péjoratif. Car par rapport aux exigences de la connaissance de la vérité, il est requis de libérer du monde des apparences et des illusions. Aussi on ne devrait pas dire que la philosophie nous détache du réel mais plutôt des fausses réalités. Et parce que la majorité des hommes, le sens commun, prend le monde des apparences pour le vrai monde, le philosophe se trouve dans une position inconfortable : il est marginalisé. Mais peut-être que cette marginalisation est la situation fatale de tous les grands hommes. Ces derniers n’ont-ils pas « toujours été seuls » pour parler comme Hegel. Les prophètes et les saints ne sont-ils pas apparus aussi comme détachés de notre monde profanes ?
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